01/07/2013
CHARLES BAUDELAIRE: LE JEU
CHARLES BAUDELAIRE
LE JEU
Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles,
Pâles, le sourcil peint, l'oeil câlin et fatal,
Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles
Tomber un cliquetis de pierre et de métal;
Autour des verts tapis des visages sans lèvres,
Des lèvres sans couleurs, des mâchoires sans dent,
Et des doigts convulsés d'une infernale fièvre,
Fouillant la poche vide ou le sein palpitant;
Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres
Et d'énormes quinquets projetant leurs lueurs
Sur des fronts ténébreux de poètes illustres
Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs;
Voilà le noir tableau qu'en un rêve nocturne
Je vis se dérouler sous mon oeil clairvoyant.
Moi-même, dans un coin de l'antre taciturne,
Je me vis accoudé, froid, muet, enviant,
Enviant de ces gens la passion tenace,
De ces vieilles putains la funèbre gaieté,
Et tous gaillardement trafiquant à ma face,
L'un de son vieil honneur, l'autre de sa beauté !
Et mon coeur s'effraya d'envier maint pauvre homme
Courant avec ferveur à l'abîme béant,
Et qui, saoul de son sang, préférerait en somme
La douleur à la mort et l'enfer au néant !
17:20 Publié dans GOUTTES d'ÂME, POESIES DITES EN IMAGES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : au magma present de l'ecriture, charles baudelaire, jouer, fauteuils, faner, courtisane, vieillesse, pâleur, sourcil, peinture, câlin, fatal, minauder, maigreur, cliquetis, pierre de taille, guédelon, métal, tapis vert, visage, lèvre, couleur, mâchoir, dentiste, doigt, convulser, infernal, fièvre, fouiller, poche vide, sein palpitant, salissure, plafond, ranger, lustre d'antan, énormité, quinquenna, projeter, lueur, frontal, ténébreux, salle des illustres, gaspillage, ensanglanter