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25/02/2014

LE JOURNAL DE PERSONNE: "L’OUVRIÈRE"

 

LE JOURNAL DE PERSONNE

  "L’OUVRIÈRE"

 

Un bras de fer avec  son propre enfant… Ça vous marque, ça vous poursuit très longtemps!

J’ai eu l’impression de commettre un infanticide :

Mon fils voulait créée son entreprise…

Et il vint me consulter pour ne pas avoir de surprise

Il avait déjà le local, le capital et un projet original

Il lui manquait juste la confrontation entre le réel et l’idéal

J’ai accepté de sonder avec lui le cœur des choses

Tu comptes t’installer quand ?

Dès que possible, question de formalités administratives

Est-ce que tu sais au moins où tu vas ?

Oui maman si… tu ne vas pas re-réciter la chanson : Dans quel but et pour quelle fin ?

Parce qu’aujourd’hui tout est question de moyens…

Quand on les a, les fins se bousculent au portillon

Dans mon for intérieur, je me disais c’est fou ce que je l’ai mal élevé.

Est-ce que ça t’embête qu’on fasse le parcours dans nos têtes, lui dis-je,

Oui… si tu m’épargnes les prises de tête théoriques.

Détrompe-toi la projection fait partie de l’arsenal entrepreneurial

On ne doit rien faire aujourd’hui si on ne sait pas ce qu’on va en faire demain

Il y a le court, le moyen et le long terme

Prendre c’est du court terme, comprendre, du moyen terme. Entreprendre c’est toujours du long terme… parce que ça te prend tout et ça comprend les autres.

 

Alors dis-moi de quoi il retourne?

Une pâtisserie. Je veux faire artisan pâtissier, me dit-il avec un brin d’hésitation, comme s’il n’était pas sûr que j’allais l’entendre avec la même oreille que lui.

Ouvrir une pâtisserie? Ce n’est pas du gâteau lui dis-je avec mon humour pourri.

Mais il n’avait nulle envie que l’on discute ses axiomes… Il voulait juste que l’on examine les conditions de possibilités de ce projet. Et nous sommes tombés d’accord pour accélérer le mouvement. Le mouvement de la réflexion.

 

De quoi tu disposes aujourd’hui?

Du local, du capital et d’un projet… qui à mon goût n’a rien d’original.

Ce qu’il a d’orignal, me reprit-il, c’est le produit naturel, sans sucre, sans adjonction extérieure, à base de fruits: des gâteaux à la fraise avec le goût de fraise, par exemple, ce sera le temple de la tarte aux fruits… on veut réapprendre aux gens le goût des saisons et les débarrasser de la chimie de la conservation ou de la congélation

 

Et tu as trouvé la perle rare qui va faire office de chef pâtissier ?

Oui me dit-il, c’est mon associé. C’est par là qu’il fallait commencer.

Par la cause efficiente… parce que toi, dans l’affaire, tu n’es que la cause matérielle ou formelle, celui qui apporte les fonds et le nom.

Il acquiesça pour ne pas me manquer de respect.

 

 

Et si je comprends bien… vous allez faire 50-50?

Non, tu n’y es pas, c’est moi le créateur et le seul actionnaire de cette entreprise unipersonnelle. Mais je te garantis qu’il aura un bon salaire.

Me voilà rassurée, lui dis-je, d’apprendre que mon fils exploite déjà son associé avant l’ouverture de l’exploitation.

 

Et demain, qui va servir tes délicieuses confiseries, celui qui a passé la nuit à les préparer ou celui qui se croit tout permis parce qu’il a cassé sa tirelire pour investir?

Tu n’y es pas, renchérit mon fils, demain on engagera quelqu’un pour servir et quelqu’un pour tenir la caisse.

Et après demain?

Pour après demain c’est moi qui vais te le dire : ce sera 3 serviteurs, un caissier et un expert comptable.

Et après-après-demain : un déménagement un réaménagement… ce n’est plus un simple « bocal » où survivent de petits poissons mais un local géant avec une dizaine de serviteurs, deux ou trois caissiers et un conseiller fiscal pour qu’il y ait toujours des cerises sur les gâteaux.

Et après- après-après-demain : l’extension complète… que dis-je, l’explosion, tout le monde en parle, votre marque est déposée dans le monde entier… plus que le Nôtre… plus que Hédiard… mon fils va donner de l’art à manger à tous ceux qui ont un petit creux…

 

Et tu seras riche et célèbre… et un jour, parce que les temps changent, tu vas devoir te séparer de la plupart de ceux qui t’ont permis d’occuper le haut du pavé, surtout et surtout te séparer de celui qui a contribué dans l’ombre à te hisser au plus haut niveau : ton associé, le pâtissier… lui, personne ne le connaît, personne ne sait qui c’est… le dindon de la farce.

C’est lui, le premier défait, malgré ses doigts de fée. Pourquoi?

 

Je vais te dire pourquoi? Parce que le système est vicié à la base.

Aucun empire n’est possible sans l’usage du pire : la marche, puis la progression, puis l’extension, puis l’exploitation des hommes par l’homme… c’est une marche inexorable… vers l’abîme du CAC 40. Marche ou crève!

 

Je suis désolée de t’exposer ma pensée ouvrière… parce que je n’ai pas pu m’empêcher de m’identifier à ton pâtissier… l’ouvrier des ouvriers qui se retrouve aujourd’hui au ban de la société … parce qu’à part sa peau, il n’avait rien d’autre à investir.

Mon fils, je t’aime aujourd’hui… et je te le dis parce que je ne suis pas sûre de t’aimer demain!

13/04/2013

GEORGES FOUREST : " BALLADE POUR FAIRE CONNAITRE MES OCCUPATIONS ORDINAIRES "

 

GEORGES FOUREST 

" BALLADE POUR FAIRE CONNAITRE MES OCCUPATIONS ORDINAIRES "

 

Poème de Georges FOUREST

Lu par Nicolas LORMEAU

 

La Négresse blonde, 1909 © José Corti

 

Né le 6 avril 1867 à Limoges, Georges FOUREST suit des études de droit. Il se qualifie ensuite d’"avocat loin de la cour d’appel", comme il aime à se nommer. Il vient à Paris, où il fréquente les milieux littéraires symbolistes et décadents, collabore à plusieurs revues (La Connaissance, Le Décadent) et se rend célèbre avec La Négresse blonde (Messein, 1909, rééd. Corti 1986), préfacé par Willy, et placé sous le patronage de Rabelais. Georges Fourest fera encore paraître Contes pour les satyres (Messein, 1923, rééd. Corti, 1990) et le Géranium ovipare (Corti, 1935, réé. 1984), qui respirent une même atmosphère ludique et lubrique. Il meurt à Paris le 25 janvier 1945. Après une période de désaffection, il est peu à peu redécouvert à mesure que se manifeste un regain d’intérêt pour la littérature 1900.    


« Georges Fourest était un poète français à la verve parodique et irrévérencieuse, jouant avec truculence de mots rares ou cocasses, des dissonances de ton, de l’imprévu verbal et métrique, des effets burlesques.

Quand j’ai connu Georges Fourest, il était dans la soixantaine et déjà célèbre. Il ne ressemblait pas plus à l’idée qu’un lecteur de La Négresse blonde pouvait se faire de lui que le Gracq qu’on imaginait au moment de la publication du Château d’Argol ne ressemblait au Gracq réel. Le poète, qui époustouflait les foules et rêvait d’un enterrement délirant, était un homme tout à fait posé et – sauf quand à Deauville il portait veste blanche et casquette de yachtman – vêtu de la classique et déjà désuète jaquette et coiffé du melon dont le règne touchait aussi à sa fin. Il avait l’air bonhomme d’un chef de bureau de ministère. Il n’en avait pas moins écrit La Négresse blonde pour son plaisir et le nôtre. Littérairement, ce livre singulier n’appartient à aucune école, sauf la fourestière, comme dit l’à-peu-près de Willy. Il y a des gens qui deviennent célèbres à force de travail, ou de constance, ou d’acharnement ; qui entassent Pélion sur Ossa jusqu’à forcer l’attention. À Fourest, la célébrité était venue, d’un coup, après une incubation et maturation des plus lentes, le jour où il avait fait paraître sa Négresse. Il y aura bientôt soixante ans que le succès de ce petit livre se maintient avec une aimable régularité, et trente qu’elle est entré chez moi, après des années de vagabondage, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. »

 

José CORTI, Souvenirs désordonnés