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01/08/2013

LA BOÎTE A LETTRES: FERNAND LEGER A ADOLPHE BASLER

 

LA BOÎTE A LETTRES

FERNAND LEGER A ADOLPHE BASLER

 

Mon cher Basler

Merci pour votre aimable lettre, malheureusement je ne suis nullement en place pour répondre ni pour penser "art". Je suis sous le canon et ne vous étonnez pas d’une lettre correcte et avec plumes et encre dans cette position. On est arrivé à installer un confortable très relatif même à 50 mètres des Boches. Je suis sous une jolie tonnelle en pleine forêt d'Argonne et je vous écris ces mots pendant que les obus me passent au-dessus de la tête. Je suis tranquille les artilleurs m'ont appris que j'étais dans une "position d'angle" c'est-à-dire inviolable pour les obus boches. J'ai confiance en ces gens-là ils connaissent bien leur métier. Vous devez bien comprendre qu’après dix mois de ce truc, on en est arrivé à une habitude. Le flottement c’est fini. C’est une guerre sans « déchet », une guerre moderne. Tout vaut. Tout s’organise pour un maximum de rendement.

 

Cette guerre-là, c'est l'orchestration parfaite de tous les moyens de tuer, anciens et modernes. C'est intelligent jusqu'au bout des ongles. C'en est même emmerdant, il n'y a plus d'imprévu. Nous sommes dirigés d'un côté comme de l'autre par des gens de beaucoup de talent. C'est linéaire et sec comme un problème de géométrie. Tant d'obus en tant de temps sur une telle surface, tant d'hommes par mètre et à l'heure fixe en ordre. Tout cela se déclenche mécaniquement. J'ai cru assez longtemps à une rupture énorme entre la vie de paix et celle de guerre. Pas du tout. Une guerre comme celle-ci n'est possible que par les gens qui la font. C’est aussi vache que la lutte économique. Les temps de paix à cette seule différence qu’on tue du monde. Ca ne suffit pas pour renverser les facteurs. C’est la même chose. Ces gens là qui la font, nous autres nous sommes dressés à cette momerie-là. 

Du moment que le côté matériel est réalisé, à peu près. Du moment que le côté boulotage etc ne nous manque pas il reste la résistance morale. Tout tient dans cette valeur-là. C'est terrible une attaque, quand des bonhommes qui pendant des heures ont subi une préparation d'artillerie infernale aplatis dans des trous, réduits à l'état de pauvres petites choses, quand on donne l'ordre à ces hommes-là de sortir de leur abris, de franchir un parapet et d'aller sur des mitrailleuses avec leur baïonnette, il n'y a que des hommes modernes pour pouvoir encore un pareil effort. Une armée de métier ne tiendrait pas, mais un peuple qui a vécu la vie tendue et dure de ces 50 dernières années, peut le fournir. Une discipline aussi tendue soit-elle n'arriverait pas à ce résultat-là. On était prêt d'un côté comme de l'autre à cette situation. C'est pour cela que c'est long et que ce n'est pas encore fini. Aucun sentimentalisme dans tout cela. Ça c'est très bien. Il n'y a qu'à l'arrière où on est assez mou pour pleurnicher sur des histoires de cathédrale de Reims bombardée ou de femmes enfilées par les Boches. Ici ça ne mord pas du tout. Et monsieur Barrès n'a aucun succès. On n'a pas idée de demander à des gens qui s'octroient le droit de tuer de respecter des monuments plus moins historiques ou des femmes qui souvent n'ont sans doute pas demandé mieux. En septembre on faisait une guerre de primaire ridicule, mais maintenant c'est autre chose on les a pillé et supérieurement à notre tour, on a décidément plus de talent qu'eux et comme ils n'ont pas le génie, on les aura. Cher Monsieur Basler parlez moi de la peinture. Je pense bien à l'Amérique aussi mais quand tout cela sera fini.

Amicalement.

F. Léger

23/07/2013

LA BOÎTE A LETTRES: VOLTAIRE


LA BOÎTE A LETTRES

VOLTAIRE

(© copyright Musée des Lettres et Manuscrits)

 

Non seulement je suis un transfuge, Cher Catilina, ... mais j'ai encore tout l'air d'être un paresseux... Je m’en excuserai d’abord sur ma paresse en vous disant que j’ai travaillé à Rome sauvée que je me suis avisé de faire un opéra Italien de la tragédie de Sémiramis, que j’ai corrigé presque tous mes ouvrages, et tout cela sans compter les temps perdus à apprendre le peu d’allemand qu’il faut pour n’être pas acquis en voyage chose assez difficile à mon âge. Vous trouverez fort ridicule et moi aussi qu’à cinquante ans l’auteur de la Henriade s'avise de vouloir parler allemand à des servantes de cabaret mais vous me faites des reproches un peu plus vifs que je ne mérite assurément pas. Ma transmigration a coûté beaucoup à mon cœur mais elle a des motifs si raisonnables, si légitimes et j’ose le dire si respectables qu’en me plaignant de n’être plus en France personne en peut m’en blâmer. J’espère avoir le bonheur de vous embrasser vers la fin de novembre. Catilina et les ducs d’Alençon les recommanderont à vos bonnes grâces dans mon grenier et les nouveaux rôles des Rome sauvée arriveront à ma nièce dans peu de temps. Je n’attends qu’une bonne occasion pour les lui faire parvenir. Comment puis-je mieux mériter ma grâce auprès de vous que par deux tragédies et un théâtre ? Nous étions faits pour courir les champs ensemble, comme les anciens troubadours. Je bâtis un théâtre, je fais jouer la comédie partout où je me trouve...  A Berlin, à Postdam, c'est une chose plaisante d'avoir trouvé un prince et une princesse de Prusse tous deux de la taille de mademoiselle Gossin,  déclamant sans aucun accent et avec beaucoup de grâce. Mademoiselle Gossin est à la vérité supérieure à la princesse. Mais celle-ci a des grands yeux bleus qui ne laissent pas d’avoir leur mérite. Je me trouverai en France on ne parle que notre langue. L’allemand est pour les soldats et pour les chevaux.  Il n’est nécessaire que pour leur route.

En qualité de bon patriote, je suis un peu flatté de ce petit hommage qu’on rend à notre patrie, à trois cents lieues de Paris. Je trouve des gens élevés à Koenigsberg qui savent mes vers par cœur, qui ne font pas de jaloux, qui ne cherchent point à me faire des niches. A l’égard de la vie que je mène auprès du Roy, je ne vous en ferai point le détail.

C'est le paradis des philosophes. Cela est au-dessus de toute expression. C'est César, c'est Marc Aurèle, c'est Julien, c’est parfois l’abbé Dechaulieu avec qui on soupe, c'est le charme de la retraite, c'est la liberté de la campagne avec tous les petits agréments de la vie qu'un seigneur de château qui est roi peut procurer à ses très humbles convives. Pardonnez-moi donc mon cher Catilina et croyez que quand je vous aurai parlé vous me pardonnerez bien davantage. Dites à César les choses les plus tendres, gardez avec cela une force inviolable. Cela est de conséquence

 

Bonsoir je vous embrasse tendrement