28/08/2013
LA BOÎTE A LETTRES: STENDHAL A MADEMOISELLE SOPHIE D'UVAUCEL
LA BOÎTE A LETTRES
STENDHAL A MADEMOISELLE SOPHIE D'UVAUCEL
(© Musée des Lettres et Manuscrits)
Mademoiselle Sophie d'Uvaucel, chez
M. le Baron Cuvier, an Jardin du Roy, à Paris.
Rome, 28 Avril [1831].
Mademoiselle,
Votre lettre me fait le plus grand plaisir. Je reviens de Saint-Pierre où il y avait une fête. Ma paresse me l'a fait manquer. J'ai trouvé le pavé de marbre de l'église jonché de fleurs et de feuilles de laurier. Ces feuilles un peu meurtries répandaient l'odeur la plus suave, point trop forte, ce qui convient à mes nerfs de jolie femme. Mon âme était bien disposée. Votre lettre a paru comme un jour doux destiné à frapper des yeux délicats. Dans mes jours de patriotisme ardent, elle m'eût indigné. Je méprise sincèrement, et sans haine, la plupart des gens que vous estimez. Pour se mêler d'affaires publiques, il faut de l'expérience. Peut-être M. Dejean, ou tout autre jeune homme nommé préfet par M. Guizot, sera-t-il un homme habile en 1840. Mais rappelez-vous que l'œil du public voit nettement et clairement au bout de six mois ce qui se passe dans le cœur de tout homme qui reçoit plus de 20.000 francs du budget et le rôle de Pénélope est dangereux. Mais parlons de fadaises. Vous avez vu quelques très jeunes gens faire de grandes fortunes. Soyez convaincue que quelles que soient les phrases et les apparences, pendant deux ou trois mois de leur vie, ils ont été comme Julien. De 1806 à 1813, j'ai été à peu près aide de camp de M. le comte Daru. Il était très puissant à Berlin en 1806, 7, 8, à Vienne en 1809. J'étais dans une sorte de faveur à Saint-Cloud en 1811. Je vous assure que personne n'a fait une grande fortune sans être Julien. La forme de notre civilisation exclut les grands mouvements, tout ce qui ressemble à la passion.
De là, le rôle pitoyable des femmes. La société actuelle ne les emploie que comme intrigantes. Voyez MMmes Récamier, Pastoret, Rumfort. Il faut pour avancer être doux, humble, faire vingt visites en bas de soie par semaine. Un jour que le protecteur s'ennuiera, un jour de pluie à Saint-Cloud, au mois d'octobre, un trait de bassesse bien placé vous vaudra une préfecture. Je méprise les charges. Julien n'est pas si futé qu'il vous le paraît.
Le jeune homme de dix-huit ans est niais à Paris. Il songe toujours au modèle à imiter. Et quelques-fois il y a quatre règles contradictoires sur la façon dont il faut tirer son mouchoir de sa poche chez une duchesse. Cette perplexité au moment où il s'agit de choisir entre des règles contradictoires, aidée par les trois changements de tenue par 24 heures, qui ont lieu à Paris est cause de la niaiserie. Nos jeunes paysans du Dauphiné savent très bien suivre leur intérêt. J'aime à discuter sur le cœur humain, chose difficile avec les Françaises, qui presque toujours mentent pour se conformer à la règle 1451 qui régit leur conduite ou à la règle 8.600. Votre lettre est infiniment plus sincère qu'aucune que vous m'ayez écrite. Elle ne blâme pas assez le roman en question. Vous avez adouci. Il fallait m'écrire le premier jour. II y avait à Venise un homme qui, pour aimer sa femme, avait besoin qu'elle lui donnât des soumets. Je suis cet homme. Rien ne m'ennuie comme le compliment. Si j'en avais 10.000 comme cela, pense-je, on me ferait baron et académicien. Mais que faire d'un fagot ou deux? Cela ne suffit pas pour chauffer le four. Soyez donc, je vous en supplie, Mademoiselle, ultra-sincère avec moi plus le soufflet sera fort, plus je sentirai la vie.
Mme Az[ur] me croit l'original de Julien parce que pour être nommé Inspecteur du Mobilier, le général Duroc qui m'aimait (par parenthèse à cause de ma sincérité) voyant fils de noble chevalier Beyle dans mon extrait de baptême, me donna le De Beyle dans le projet de décret qui fut signé le 11 août 1810. Alors commença pour moi l'époque du plus grand bonheur. Pour en revenir, la lettre de Mme Az[ur] qui m'accable des plus grands mépris, a fait toute ma joie pendant un voyage que j'ai fait à Capo d'Istria et j'y songe encore après un mois. Si j'avais voulu faire le Julien dans le salon de M. Aubernon, chez M. Pastoret que je ne suis jamais allé voir au Luxembourg,' chez M. de Lafayette, etc., etc., je serais tout au moins préfet de Guéret. Mais je serais destitué, car certainement j'aurais administré comme M. Pons de l'Hérault, préfet du Jura. Gardez cette ligne pour vous. Elle me porterait dommage dans ma retraite. De 15.000 je suis tombé à 10.000.
Si je tombais plus bas, il n'y aurait pas moyen de vivre avec la dignité nécessaire. Ici, je veux dire au midi des Apennins, le public n'est dupe d'aucune affectation. Vous avez beau vous étaler avec une noble négligence sur quatre chaises à la promenade, la canaille ne vous estime qu'au prorata de la dépense que vous faites. Nous avons pour ennemis les libéraux depuis Bologne1, les ultras depuis 1789. Le rôle d'un agent français est difficile, très difficile. Il faudrait en avoir moins et les mieux payer. Autrement je me renfermerai dans une nullité complète comme mon prédécesseur, qui s'est mis cependant à danser dans l'unique café de ma ville en apprenant la nouvelle des ordonnances du 25 juillet 2. J'ai passé cinq jours à Florence sans trouver le temps de monter à la Galerie ou d'aller au Palais Pitti. J'ai cherché la vérité, j'ai écrit quatre dépêches à mon ministre. Celle qui décrit ce qui a failli se passer à Florence vous amuserait.
Comme vous êtres Française, il faut ici placer une petite batterie contre le ridicule, donc. vous amuserait, non certes à cause du talent du narrateur, mais par le caractère plaisant des acteurs. Ma dépêche étant sincère aura déplu. Je me le disais en l'écrivant.
Mais par le plus grand des hasards, il peut se trouver un homme de mérite, un Mérimée, dans les bureaux, et je serais bien aise qu'il se dise « Celui-là n'est pas si niais que les autres. » A seize ans, mon père m'a donné 150 fr. par mois pour venir me faire recevoir à l'École Polytechnique. Or cela se passait en 1799. Les nigauds à demi-hypocrites que vous estimez vous mènent tout droit à la Grande Colère du Père Duchêne. Le tigre se réveillera pour repousser l'étranger qui nous méprise et nous donnera tant de soufflets qu'il faudra finir par où il fallait commencer. L'opération n'eût pas duré plus de six mois. Dans l'état actuel du malade, elle durera trois ans. Je vous offre refuge dans une forêt à trois lieues de mon endroit. Ceci est sérieux. Faute de bonne foi, vous êtes flambés. Comprenez-vous l'admirable finesse de mon langage ? Rien de mieux établi que notre correspondance. Rien ne se perd. Daignez donc m'écrire plus souvent. Mes respects à M. et à Mme C[uvier] et à Mme Martial. Dites à tous les niais que je suis devenu très grave, très profond, très digne du docto corpore où je suis. Au fond quelques phrases plus ou moins piquantes me coûtent 5.000 fr. C'était tout le superflu, chose si nécessaire. Ce malheur doit m'ôter la colère et l'envie des sots. Au reste j'ai pitié d'eux ils vont avoir une belle venette d'ici à quelques mois. Voulez-vous le remède ?
Recipe: Sincérité et bonne foi.
01:43 Publié dans GOUTTES d'ÂME | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : au magma present de l'ecriture, stendhal, sophie d'uvaucel, lettre, plaisir, revenir, saint-pierr, fête, paraesse, acte manqué, trouver, pavé, marbre, église, joncher, fleur, feuille, laurier, meurtrir, répandre, odeur, suave, fort, convenir, nerfs, jolie, femme, ^m, doux, dstinée, frapper, délicatesse, patriotisme, ardent, indigné, mépris, sincère, haine, estimer, se mêler, affaire, publique, expérienc, expérimenter, préfet, haile, rappeler, net, clair, budget
20/08/2013
UN SOI EN FURIE
UN SOI EN FURIE
L’important est de ne pas empêcher
Le déferlement impérieux de l’écriture,
De laisser ruisseler l’âme ardente
Qui pulse avant de s’épandre d’elle.
Dans le charnel des mots se caressent
Les mots qui brûlent et les mots brasiers
Qui exhibent les volutes de l’intime en feu.
Pourtant, rien ne coule jamais de source.
Aussi faut-il faire preuve d’une réelle alchimie
Pour que de la plume inspirée goutte l’habile formule.
A l’essence de la lucidité, il flagellent les mots,
Et, au comble de la colère puis de sa déflagration,
Il se dit que nul n’écrit sans d’abord se penser
Ni sans éprouver la furie l’envahir à en vomir.
L’écriture n’est pas et ne sera jamais un lieu de paix:
Elle reste cependant l’unique chemin de lumière qui y mène.
P. MILIQUE
09:20 Publié dans GOUTTES d'ÂME | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : au magma present de l'ecriture, en furie, furieux, importance, empêcher, déferlement, impérieux, écriture, laisser, ruisseler, âme, ardent, pulser, épandre, charnel, se caresser, brûler, brasier, exhibition, volutes, intimité, en feu, couler de source, faire preuve, réel, alchimiste, plume inspirer, goutter, habile formule, essence, lucidité, flagellation, au comble de la colère, déflagratio, se dire, se penser, éprouver, envahir, vomir, lieu de paix, rester, unique, chemin de lumière, mener à bon port
15/07/2013
LUMIÈRE LIBRE
LUMIÈRE LIBRE
Il se dit souffrance exacerbée
Précipité ardent de vif mal-être
Dans sa façon obstinée de camper
Sur ses blessures et ses secrets.
Dans l’émotion tremblante d'espaces infinis
Livrés au souffle initial des voies du silence,
Il se nourrit de la lumière libre des autres,
Étoile fixe et brillante encore gourmande de vie.
P. MILIQUE
09:25 Publié dans GOUTTES d'ÂME | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : au magma present de l'ecriture, étoile, liberté, lumière, souffrance, exaceration, précipité, amant, ardent, amour, vif, mal-être, façonner, obstiné, camper, blessure, secret, émotion, trembler, espace infini, livrer, souffle initial, voie, silence, se nourri, autrui, gourmandise, viril, aérodrome
05/07/2013
SOURCE ARCHAÏQUE
SOURCE ARCHAÏQUE
Il y a comme l'imperceptible frémissement
Inscrit dans le cours secret des choses.
Une sorte de nécessité providentielle fomente une
Ardente obligation aux actes lourds de sens
Qui, dans l'exacerbation d'une confusion généralisée,
Impose de parler le langage de l'intelligence.
Il est impératif dès lors de s'extraire de cette autre nuit,
Archaïque source de profondes souffrances
Génératrice d'un éternel retour à un pire arrogant,
Cristallisé d'un mauvais arrière-goût d'amertume.
P. MILIQUE
09:51 Publié dans GOUTTES d'ÂME | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : au magma present de l'ecriture, source, sorcier, archaïque, imperceptible, frémissement, inscrire, inscription, cours, secret, chose, sorte, nécessité, providentiel, providence, fomenter, ardent, obligation, acte, lourd, sens, exacerbation, confusion, généraliser, imposition, ârler, langage, intelligence, impératif, extraire, nuit, archaïsme, profondeur, souffrance, générateur, éternité, retourner, pire, arrogance, cristalliser, mauvais, arrière-goût, amertume;
23/06/2013
ANNA DE NOAILLES "LUMINEUX MATIN"
ANNA DE NOAILLES
"LUMINEUX MATIN"
Lu par Véronique VELLA et Sylvia BERGE
Poétesse française née en 1876 à Paris, Anna de Noailles était d’origine grecque et roumaine. Largement influencée par les Parnassiens, Jean-Jacques Rousseau, et plus que tout par Victor Hugo, son œuvre est marquée par un ardent panthéisme.
Prise de son : Pierre Minne
Montage : Sylvain Dangoise
Assistante à la réalisation : Delphine Lemer
Réalisation : Myron Meerson
17:40 Publié dans GOUTTES d'ÂME | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : au magma present de l'ecriture, anna de noailles, lumineux, matinal, véronique vella, sylvia bergé, poétesse, français de souche, paris, orifine, étranger, grecque, roumain, largesse, influencer, parnassien, jean-jacques rousseau, victor hugo, oeuvre, marquer, ardent, panthéisme, pierre minne, sylvain dangoise, delphine lemer, myron meerson
21/12/2012
NE PLUS RIEN ATTENDRE
NE PLUS RIEN ATTENDRE
Tout est toujours tellement précaire et incertain!
Il habite, dans l’impossible de l’amour, un horrible hiver inutile
De bras impuissants à serrer sa détresse vive,
Au cœur fusionnel de sa vie qui au temps s’épuise.
Il sait bien qu’elle ne le voit pas,
Et il s’enferme dans une longue nuit,
Une nuit d’instants sans fin d'où les heures sont absentes
Car, ce qui ne peut devenir flamme, il faut le taire.
Misérable et comme noyé dans d’amères eaux invisibles,
Il comprend cette évidence de l’absolu dénuement
De ne plus rien attendre de cet amour qui n’a jamais été,
Tout en vivant l’horreur de le perdre quand même
Tel un fantôme sur la fumée d’une cigarette absente
Avec, ardentes, ces pensées d’elle qui le laissent trop seul.
P. MILIQUE
09:36 Publié dans GOUTTES d'ÂME | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : au magma present de l'ecriture, attente, tel, précaire, incertain, habiter, impossibilité, amour, horrible, hiver, inutile, bras impuissants, serrer, détresse, vivacité, coeur fusionnel, le temps s'épuise, s'enfermer, longueur, nuit, heures absentes, devenir flamme, ilfaut lataire, misérable, noyer, amère, eau, invisible, comprendre, évidence, dénuement absolu, fantôme, fumée, cigarette, absent, ardent, pensée, laisser seul
01/12/2012
AMOUR HARDI
AMOUR HARDI
Dans une monde d'où disparaît l'idée de destin
Seul le langage des songes et du mystère
S'offre à authentifier la beauté d'un visage
Exprimant une source révélatrice d'idéal.
C'est dans l'unicité troublante d'un cœur ensoleillé
Que se tapi l'enthousiasme ardent d'un amour hardi,
Mélange rare de grâce voluptueuse et d'ineffable
Qui seuls se rêvent capables de suspendre le temps
Entre silence ignorant et fulgurance de l'instant,
Fracassés contre un roc battu d'eaux changeantes.
P. MILIQUE
09:08 Publié dans GOUTTES d'ÂME | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : au magma present de l'ecriture, amour, hardiezsse, mondanité, disparaître, idéologie, destin, langage, songe, mystère, offir, autehtifier, beauté du visage, exprimer, source, révélateur, idéal, unicité, trouble, coeur, ensoleillé, se tapir, enthousiasme, ardent, mélange, rareté, grâce, voluptueux, ineffable, rêver, capacité, suspendre le temps, solence, ignorance, fulgurance, instant, fracasser, rocher, battre, eau, changeant